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Interview

Dénoncer le sexisme en archéologie avec Alter Ego Rennes

Patriarcat et sexisme ont infusé toute l’histoire de la recherche et, de fait, influencé considérablement notre compréhension des sociétés passées.

L’archéologie, en tant que champ disciplinaire, ne déroge pas à la règle. Toutefois, le cours de l’histoire nous prouve que cette situation n’est pas immuable. 

Proposée par l’association Alter Ego Rennes, l’exposition « Portraits de femmes : archéologues et militantes » rend hommage à quinze femmes chercheuses qui, dans leurs travaux académiques comme dans leurs vies, se sont battues pour faire bouger ces rapports de force et pour faire évoluer la science et ses enseignements. Entretien avec l’équipe organisatrice.

Sacha Kalcina, Lisa Marchand, Chloé Damay
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Sacha Kalcina, Lisa Marchand, Chloé Damay de l'association Alter Ego Rennes.

Pouvez-vous vous présenter ?

Alter Ego Rennes. Nous sommes un groupe de passionné·es d’archéologie, et pour la grande majorité, étudiant·es et diplômé·es de cette discipline, de la licence au doctorat. Nos intérêts scientifiques varient beaucoup, aussi bien concernant les périodes étudiées que les spécialités.

Quelles sont vos missions au sein de l’association Alter Ego ?

A.E.R. Nous sommes tous·tes bénévoles au sein de l’association, et certain·es sont membres du bureau qui est un bureau collégial, sans hiérarchie. Nous essayons de travailler au fur et à mesure pour répondre aux besoins de certaines institutions (des établissements scolaires pour des interventions, le Ministère de la Culture et l’Institut rational de recherches archéologiques préventives pour des journées patrimoniales, etc.), et des projets impulsés par chacun·e.

Comment est né le projet d’exposition Portraits d'archéologues militantes ? Que vient-il apporter au projet Archéo-sexisme co-organisé par l'association Archéo-Éthique et le projet Paye ta Truelle ?

A.E.R. En ayant connaissance de notre projet “Archéo-sexisme”, Morwenna German, du service culturel de Rennes 2, nous a tout de suite contacté·es pour mettre à notre disposition l’espace de la Mezzanine du Tambour, au cas où nous souhaitions compléter notre évènement par l’exposition d’une série de portraits. L’idée nous a immédiatement séduite car ce nouveau projet autorise la mise en valeur de 15 femmes archéologues et militantes. Les trois commissaires de l’exposition « Archéo-sexisme », que nous accueillons dans le Hall B et qui a nourri l’organisation de cycles d'événements autour des notions de sexisme et de harcèlement en archéologie et en Sciences sociales, en font partie. 

Les biographies associées aux portraits donnent une visibilité des travaux, ainsi que des actions militantes menées par toutes ces chercheuses. Illustrer cette sélection de 15 archéologues militantes permet ainsi de parcourir brièvement l’histoire du féminisme en archéologie - ou du moins du combat de ces dernières dans le domaine de la recherche archéologique, de visibiliser leurs travaux et les thématiques de leurs luttes, dont nous pouvons tirer une puissante inspiration.

Portrait de Béline Pasquini
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Béline Pasquini (FR) 

Portrait par Mélina Alban Clair, 2022

En quoi la présence du sexisme dans ce milieu peut-elle nuire aux pratiques et biaiser les découvertes archéologiques ?

A.E.R. Le sexisme nuit à l’ensemble de notre société. Nous le côtoyons au quotidien, il structure l’ensemble de nos vies. Le monde académique et le terrain en archéologie n’y échappent malheureusement pas. En plus de l’invisibilisation des travaux des femmes1, le sexisme en général (et particulièrement le harcèlement et les agressions) peut aboutir à une suspension voire à l’abandon des travaux de recherche (notamment en Master ou en doctorat)2. Il influe également sur le terrain, en menant à des désengagements ou à des reconversions.

Concernant les découvertes archéologiques, le prisme patriarcal biaise l’interprétation depuis l’aube de la discipline. C’est ce que s’efforce de clarifier la gender archaeology depuis quelques décennies. L’exemple souvent donné pour illustrer l’effet du patriarcat sur les interprétations archéologiques est la reconstitution de la vie des communautés préhistoriques qui comprend des hommes chasseurs et artistes face à des femmes cueilleuses et restant au foyer. Aucun indice archéologique solide ne permet de telles affirmations. Mais malheureusement, les résultats de nombreux travaux montrent que cette vision biaisée touche de larges pans de la recherche.

Quelle est l’ambition de votre exposition ? Pourquoi entre-t-elle en résonance avec l’époque que nous vivons ?

A.E.R. Exposer cette série de portraits (très loin, bien sûr, de mettre à l’honneur la totalité des femmes ayant apporté une belle contribution à la discipline) permet de mettre en avant un groupe de figures féminines marquantes, et ainsi de mettre en lumière, pour les nouvelles générations, des modèles inspirants. Rendre accessible à un public averti comme au grand public les travaux et les combats de ces femmes nous semblait incontournable, notamment à l’heure du développement des gender studies qui pointent du doigt les conséquences du manque de représentativité des femmes dans l’Histoire. La mise en avant de ces figures vient également faire contrepoids au sein d’un milieu académique où les carrières entre hommes et femmes, comme partout ailleurs, se déroulent à double vitesse. 

Portrait de Margareth Conkey
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Margareth Conkey (US), 1943- 

Portrait par Morgane de Parthenay, 2022

Comment s’est déroulée la phase de recherche et de préparation au sein d’Alter Ego ? Qui sont les artistes qui ont dessiné les portraits de ces femmes engagées ?

A.E.R. Un groupe d’une demi-douzaine de bénévoles s’est attaché à sélectionner les personnalités féminines les plus marquantes et inspirantes, par leur courage, par leurs luttes et par leurs travaux innovants, puis d’en réaliser les biographies respectives. Suite à un appel à projet, des artistes, étudiant·es ou non, bénévoles de l’association ou non, se sont proposé·es pour réaliser les portraits en questions. L’aspect participatif de la réalisation graphique des portraits s’accorde tout à fait avec les valeurs de notre association. La diversité des approches, des styles et des techniques employés fait échos à la diversité des parcours et des combats.

Toute cette organisation a été mise au service du riche programme que nous proposons pour ce début d’année universitaire.


1 Nous renvoyons à la communication que donnera Hélène Djema le 03/10/2022, Où sont les femmes ? Dans les remerciements et les notes de bas de page. Un « effet Matilda » en Préhistoire.
2 Le film-documentaire Briser le silence des amphis, réalisé par le collectif Écran et Paroles et projeté au Tambour le 10/10/2022, traite particulièrement de ces questions.

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