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Mikaël Bernard utilise l'art et la poésie pour traiter de la "communauté "

Le créateur de la compagnie À Corps Rompus est en résidence au Tambour du 17 au 21 juin 2019. Formé à Rennes 2 et ancien président de l’association l’Arène Théâtre (2012-2013), Mikaël Bernard revient sur son parcours et nous parle de sa création en cours : MÉTAMORPHOSES 2.0, We will get what we need. Il proposera une lecture publique avec l’équipe au complet vendredi 21 juin à 15h au Tambour.

Mikaël Bernard

Quel a été le point de départ de votre collaboration avec le dramaturge de l'ensemble italien ricci/forte, auteur de la pièce METAMORPHOSES 2.0 (we will get what we need) ?

Mikaël Bernard : Ma rencontre avec le travail de ricci/forte s’est tout d’abord effectuée en librairie, lorsque nous avons découvert avec mon collaborateur Stéphane Pisani une anthologie du théâtre contemporain italien, le travail de ricci/forte s’y trouvait avec l’une de leurs Wunderkammer. Cette découverte s’est faite car la compagnie recherche très régulièrement des écritures contemporaines issues d’autrice.teur.s européen.ènne.s, et cette anthologie permettait d’appréhender la création contemporaine italienne. L’écriture de ricci/forte nous a beaucoup plu. Ensuite je suis allé voir leur travail sur internet (http://ricciforte.com) et j’ai relié les points d’une certaine filiation puisqu’ils avaient été invités par David Bobée (auprès duquel j’avais effectué un assistanat) en France à la Ménagerie de Verre lors d’une carte blanche. Il y avait également le fait que l’écriture de ricci/forte met en critique la société actuelle sans pour autant perdre une poésie au profit d’un message politique.

Ensuite, nous nous sommes rencontrés avec Gianni Forte (le dramaturge du duo ricci/forte) qui a découvert le travail de la compagnie en assistant à plusieurs de ses formes (De Ruines et de rage, Un Jour nous serons humains, Pas Savoir). Au fur et à mesure de nos rencontres, une certaine amitié s’est forgée. Je souhaitais depuis longtemps travailler sur la communauté LGBT+, mais je ne savais pas comment aborder l’affaire. Puis la politique qui n’arrêtait pas d’évoquer les questions « d’intégration » de « communautarisme » en 2017 a fini par me convaincre qu’il fallait des formes artistiques et poétiques pour traiter de ce sujet qu’est « la communauté ». Les MÉTAMORPHOSES 2.0 (we will get what we need) n’est que le premier volet d’un projet plus global sur la communauté, la deuxième pierre est celle de “la communauté idéale” interrogée par des projets d’actions culturelles et d’un futur spectacle, qui traitera de la place des femmes avec la notion de sororité.

En juin 2019, vous entrez en résidence au Tambour. Pouvez-vous nous parler de la création finale ? Que manque-t-il aujourd'hui pour présenter votre spectacle sur scène ?

M.B.  Cette résidence est la troisième étape de notre travail : un laboratoire de recherche en mars 2018 pour valider les pistes de travail, un deuxième laboratoire en septembre 2018 pour creuser des éléments scénographiques et tester de nouveaux interludes. Notre résidence au Tambour est une étape importante puisque l’équipe sera enfin au complet avec l’arrivée de deux comédien.ne.s (Anne-Marie Bisaro, Laure Catherin) ainsi que de Gianni Forte qui passera de l’écriture au jeu). Ces trois actrice.teur.s rejoindront donc Philippe Marteau et Tristan Rothhut au plateau.

La création ne verra le jour qu’à l’automne 2020, pour satisfaire à des impératifs de production, d’autant que nous sommes une jeune compagnie et que les choses sont plus lentes à mettre en place, l’écho de notre travail est plus long à se propager. Ce qu’il nous manquait jusqu’à présent, c’était l’équipe complète à l’endroit des comédiens, et aussi des moyens afin de finaliser la scénographie et les costumes. Les créations sonores et lumineuses ne sont également pas terminées – puisque nous avions laissé de côté trois Métamorphoses (celles des nouveaux arrivants). Nous avons également un gros travail à faire autour de l’écriture des interludes, puisque ceux-ci ne sont pas écrits par Gianni Forte, mais au plateau directement, en fonction de pistes et de consignes que je donne aux comédien.ne.s. Cela prend beaucoup de temps de trouver une parole qui soit juste et en concordance avec l’écriture des MÉTAMORPHOSES 2.0.

La forme finale mêlera donc écriture contemporaine, trames improvisées, danse, vidéo, et surtout beaucoup de clins d’oeil à ce qui fait la communauté LGBTQI+ disséminés ici ou là dans le spectacle. Sans trop divulgâcher, on peut dire que Gloria Gaynor, Pasolini ou encore Harvey Fierstein (l’adaptateur à Broadway de La Cage aux Folles, et surtout du magnifique Torchsong Trilogy) feront leur apparition…

En ce qui concerne votre parcours, quelles sont les expériences qui ont fait naître en vous le désir de faire du théâtre, et notamment du théâtre "politique"?

M.B. Mon désir de théâtre est né au lycée, où j'ai été sensibilisé aux écritures contemporaines dans le club théâtre en participant aux 81 minutes de Mademoiselle A. de Lothar Trolle, fresque autour du personnage d’une caissière. Cette expérience, en tant « qu’acteur », m’a montré que le théâtre n’était pas nécessairement un dialogue entre deux personnages se battant pour le pouvoir ou l’amour. Ensuite, c’est en tant que spectateur avec le spectacle Atteintes à sa vie de Martin Crimp mis en scène par Joël Jouanneau - mon premier vrai choc théâtral - qui traitait de terrorisme, de montée de l’extrême droite, de violence, de société de consommation, tout cela avec beaucoup d’acuité et d’humour.

Pour le théâtre politique, c’est venu plus tard. D’abord au travers des assistanats que j’ai pu faire – pas tant que les metteurs en scène avec qui j’ai travaillé fassent des spectacles ‘politisés’, mais ils ont une vision éminemment haute de ce que doit être la démocratisation théâtrale, pour Thomas Jolly par exemple, ou la représentation de la diversité sur les plateaux avec David Bobée. Il y a également la formation universitaire avec laquelle j’ai appris à me replacer dans des courants esthétiques, politiques, et à réapprendre que le lieu du théâtre, en plus d’être un lieu du commun peut-être (doit être ?) un lieu de réflexion. J’aime souvent à rappeler que je fais un « théâtre politique » au sens grec – « qui intéresse la cité » - qui tente d’amener modestement sa part de réflexion au débat grâce aux autrices, aux auteurs. On confond également bien trop souvent « politique » et « partisan », c’est un vrai problème aujourd’hui.

Enfin, il y a eu cette fois au TNB, où j’ai vu un spectacle qui pour évoquer la politique, le renversement du capitalisme, faisait se déverser une caisse de pommes rouges qui roulaient sur le plateau… Ça m’a choqué que dans les années 2010 on puisse être aussi tiède pour parler de politique, il s’agissait effectivement du seul symbole dans tout le spectacle. J’ai pensé alors que s’il m’arrivait un jour d’adresser ce genre de sujet sur le plateau, je prendrais le spectateur au sérieux.

Selon l'ouvrage collectif Place au public, les spectateurs du théâtre contemporain, " [...] le rapport que le théâtre actuel entretient avec le public ne va plus de soi. Entre la scène et la salle, il y a du nouveau : les frontières bougent, les certitudes s’estompent de part et d’autre. Ce qui reste, c’est le désir de toucher, d’être touché; de reconstruire, encore et toujours, l’assemblée formée par celles et ceux qui font et qui regardent. " Quelle place tient le public dans votre travail ? Y a-t-il un spectateur idéal ?

M.B. Cette citation est très bien ! Elle illustre bien cette idée du commun au théâtre, de l’être ensemble. Pour moi, le public est un complice avec lequel l’acteur échange durant la durée du spectacle. C’est d’ailleurs pour cela que dans les formes que je monte, le quatrième mur n’existe jamais réellement, ou alors, on en joue.

De manière plus globale, c’est le respect pour le public qui nous guide. C’est pourquoi nous créons des formes exigeantes, qui, pour certaines, forcent le spectateur.trice à réfléchir, à être investi durant la durée de la représentation. C’est le cas par exemple avec DE RUINES ET DE RAGE, le Laboratoire d’Expériences Poétiques autour des écritures du soulèvement où des discours sont proposés ou déconstruits devant le public. Pour autant, il me semble aussi nécessaire de ne laisser aucun spectateur.trice sur le bord de la route, de donner de la matière à chacun afin que personne ne soit exclu. Cette logique irrigue les MÉTAMORPHOSES 2.0 dont le nombre important de références culturelles (mythologiques, musicales, communautaires, etc.) n’empêche pas une compréhension directe de l’oeuvre. Il ne s’agit que de couches supplémentaires pour des spectateur.trice.s peut-être plus avertis.

Il est aussi important de garder une certaine jouissance au théâtre, et cela passe aussi bien par monter des textes ambitieux, que par le jeu des comédiens ou encore par les « effets scéniques » obtenus grâce à la technique. Tous ces éléments qui viendront surprendre et bouleverser l’âme au travers des multiples émotions ressenties. Le spectateur·trice idéal·e est celui ou celle qui sera prêt·e à vivre cette expérience entièrement et qui, tout simplement, aura choisi de venir au théâtre.

Pour en savoir plus : http://www.acorpsrompus.fr 

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