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Interview

Maud Boulet nous invite à découvrir l'art comme forme vivante

Ancienne étudiante en Arts Plastiques à l'université Rennes 2, Maud Boulet présente sa série d’œuvres Indices du 14 novembre 2019 au 15 janvier 2020 à la galerie de la Chambre Claire. Un univers organique et végétal qui s'inspire de la nature et du monde qui nous entoure. Elle revient sur son parcours et nous présente sa vision du dessin, qu'elle souhaite rendre accessible à tou·te·s.

Maud Boulet

Comment avez-vous commencé à pratiquer le dessin ?

Maud Boulet Je ne me suis jamais arrêtée de dessiner. La plupart des enfants abandonnent le dessin vers 9 ou 10 ans. Ils prennent conscience que leurs dessins ne sont pas le reflet de ce qu'ils connaissent visuellement et finissent par se tourner vers d'autres moyens d'expression. Comme je voyais très mal, je crois que le dessin m'a aidé à comprendre les formes que je distinguais. Je dessinais tout le temps, je copiais ce que je parvenais à saisir et j'inventais des personnages et des univers. Je crois que si je n'avais pas dessiné, j'aurais été bien plus handicapée par ma vision. Le dessin m'a appris à voir.

Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous venue à la création artistique ?

M. B. J’ai choisi de suivre un parcours toujours lié aux arts plastiques en faisant une filière littéraire option et spécialité arts plastiques au lycée. À cette époque, je voulais devenir auteure de bande dessinée. Après mon Bac, j'ai continué mon parcours en Licence puis en Master de recherche en art plastique à l'université de Rennes 2. J'ai expérimenté plusieurs médiums de la création plastique, je suis revenue au dessin en Master en prenant un stylo à bille et une page blanche, une sorte de retour à ce qui m'était essentiel. Depuis, le dessin occupe une place centrale dans ma pratique artistique. J'ai compris qu'il était possible de raconter toute sorte de choses sans forcément le faire de manière narrative, en passant par des chemins de traverse.

À l'heure où il est si facile de produire et de répandre de l'image, on pourrait trouver étrange de continuer à dessiner. Que vous apporte le dessin? Quelles sont vos inspirations ?

M. B. Il y a une différence entre produire une image et produire une image artistique. Il me semble au contraire que la pratique du dessin et son apprentissage constitue une connaissance importante et une richesse technique et intellectuelle. Le dessin est un langage dont l'alphabet est constitué de formes, d'espaces, de contours, de proportions et de lumières. Devrait-on cesser d'écrire et de publier des livres puisque tout le monde peut écrire un texte ou parler via un blog ? Devrait-on cesser de produire des œuvres vidéo ou des films dès lors que tout le monde peut poster une vidéo via internet ? Je crois au contraire que la multiplication des outils permettant la production d'images tels que le téléphone portable, les réseaux sociaux, internet, ne rendent que plus précieuse encore la valeur d'une connaissance tel que le savoir-faire des arts. Pour ma part, le dessin est une construction visuelle qui produit du sens. Je dessine pour moi, pour le plaisir du temps du dessin. Puis pour dialoguer grâce à la forme avec le regardeur. J'aime que les gens s'interrogent sur ce qu'ils voient et qu'ils interprètent la forme. Je m'inspire principalement des formes de la nature végétale ou d'imageries du corps et des chairs. J'aime ce qui évoque le vivant.

Technique de la légèreté et de la mobilité par essence, tout ou presque peut servir de support au dessin. Cartes maritimes, feuilles mortes, bois...vous détournez objet ou images issus du quotidien. Comment déterminez-vous le sujet et le support de vos œuvres?

M. B. Il me semble que mon dessin se déploie de manière organique, il prolifère comme certaines formes de vivant. Dès lors, il peut en effet s'étendre à toute sorte de supports. Je crois que le fait de choisir des cartes, des souches, des rondins ou des feuilles mortes me permet de questionner ce qui nous environne. Ces supports possèdent déjà une base graphique intéressante. Les cartes maritimes sont faites de côtes sinueuses et déchiquetées et d'îlots qui dessinent des réseaux d'océans. Les bois et les feuilles mortes, lorsqu'on les regarde de près, sont également déjà empreintes de veinages, de creux, de formes vivantes ! Le fait d'inventer un dessin qui s'inscrira en harmonie avec le support est un moyen de mettre en relief ce qui était déjà là. J'aime le double jeu que permet le travail de ces supports : l’esthétique de la forme naturelle des choses et ce que sous-tend l'utilisation de ces objets, ce qu'ils produisent comme pensée et comment ils désignent ce qui nous entoure.

Vous animez actuellement des ateliers à l'association Jeanne d'Arc pour faire découvrir ce mode d'expression. Avec l'arrivée d'internet, des nouvelles technologies, comment donne-t-on envie de se pencher vers le dessin ?

M. B. Le dessin est une pratique ancrée en nous. Tout le monde dessine à un moment de sa vie. Les petits comme les grands cherchent à être guidés pour produire un bon dessin, c'est-à-dire qui est proche de ce qu'ils voient. J’apprends à mes élèves à voir les choses. J'ai tendance à présenter le dessin comme un savoir visuel avant d'être un savoir-faire manuel. C'est un état. La plupart du temps, les gens viennent timidement en pensant que le dessin est une affaire de talent. J'essaie de leur montrer que, comme l'écriture ou les mathématiques, il est tout à fait possible d'apprendre à dessiner. Il y a quelque chose de magique quand on réussit à reproduire ce qu'on voit. Lorsqu'ils comparent leurs productions ils comprennent combien ce qu'ils viennent de réaliser est unique, comme eux. C'est une expérience hors du temps, de l'agitation et des écrans qui leur permet de faire, de produire et d'analyser ce qu'ils voient. C'est en apprenant à dessiner qu'ils peuvent ensuite comprendre ce qu'ils regardent, développer un sens critique, s'interroger. Doucement, par ce biais, on pousse la porte de l'art, on se demande comment fonctionnent les formes, les images, les couleurs, les compositions et pourquoi tel artiste ou telle œuvre nous touche plus ou moins. C'est en apprenant à dessiner qu'ils peuvent mettre des mots sur ce qu'ils ressentent quand ils voient une œuvre et enfin comprendre ce que les œuvres ont à dire.

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