
Sandrine Depeau, responsable scientifique du projet Mobi'kids.
En quoi consiste le programme Mobi’kids ?
Il s’agit d’un programme interdisciplinaire, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui implique plusieurs partenaires publics (UMR ESO, UMR PACTE, UMR AAU, le LIFAT) et privés (les PME Alkante et RF Track). Il a pour objectif de comprendre l’évolution et les conditions de l’autonomie de déplacement des enfants en milieu urbain, et de vérifier l’hypothèse qu’il existe des formes de "cultures éducatives urbaines" variant selon les lieux de vie, les situations sociales et les modes de vie. Nous voulons essayer de montrer que cette autonomie n’est pas unidimensionnelle, mais conditionnée par des éléments tels que le rapport aux parents, les déplacements, le type de lieux fréquentés, etc. Les enjeux de ce programme sont à la fois d’ordre psychologique, pour mieux comprendre le développement de l’enfant ; social, sur la question de sa place en ville et des alternatives à l’automobile ; et sanitaire, car encourager les modes de transports actifs permet de lutter contre la sédentarité et le risque de surpoids.
Comment avez-vous procédé pour cette recherche ?
Elle a pris la forme d’une enquête longitudinale, au long cours, menée de février 2018 à la fin de l’année 2019 auprès de 86 familles. Nous avons enquêté des parents et leurs enfants sur deux périodes, quand l’enfant était à l’école primaire puis lors du passage en classe de 6ème, et comparé des familles du centre-ville de Rennes (quartier Colombier-Liberté) et d’Orgères, une ville à 20 km au sud. Deux terrains donc très différents en termes d’environnement, de densité d’équipements, etc. Nous avons employé des méthodes de collecte de données dites mixtes, à la fois qualitatives et quantitatives, notamment des capteurs GPS. L’un de nos partenaires, une PME rennaise, a conçu des petits boîtiers tenant dans une poche de cartable ou de pantalons. Ils ont été pensés pour ne pas être intrusifs, et permettre de suivre durant cinq jours les trajets des enfants et des parents en même temps. Pour enrichir ces données GPS, nous leur soumettions ensuite un questionnaire administré sous tablette (développée par le partenaire Alkante) permettant de préciser les traces GPS mais également de recuillir la perception des compétences de l’enfant, les recommandations parentales, le niveau de confiance des parents, les temps libres de l’enfant, la capacité à être seul·e dans l’espace urbain.
Afin d’observer et de comprendre l’expérience de déplacement in situ, nous avons réalisédes parcours commentés avec les enfants. Comme il est difficile de faire parler les enfants, nous avons demandé dans la première phase, lorsqu’elles·ils étaient en primaire (CM1 ou CM2), de faire un petit reportage sur leur trajet jusqu’à l’école. Muni·e·s d’un appareil photo et d’un enregistreur, elles·ils avaient pour mission de décrire leurs parcours de telle façon qu’une personne ne connaissant pas le quartier puisse s’y repérer. Pour les remercier, nous avons produit à l’issue un poster de leurs parcours avec les photos localisées sur une carte. Dans la phase suivante, après leur entrée au collège, nous avons demandé aux enfants volontaires de choisir un mode de déplacement plus actif (vélo, trottinette, etc.). À Orgères par exemple, tous les enfants ont accepté de faire du vélo, contrairement aux enfants vivant à Rennes. Durant ces parcours,nous avons fixé des caméras GoPro sur leur casque. Les films nous ont permis de repérer les regards portés, les postures, rapports à la route et tout ce qui est comportemental dans les formes d’attention : la manière de se tenir sur la route, de respecter le code de la route, etc.
Au final, nous avons donc un corpus très complexe de données, ce qui demande un temps de traitement assez long. Nous arrivons aujourd’hui aux premiers résultats. Et ce n’est pas fini : nous allons analyser divers éléments de contexte comme la question du végétal dans la ville ou celle de l’attractivité sociale.
Que montrent justement les premiers résultats, et sous quelle forme seront-ils présentés à l'Hôtel Pasteur le 1er et 2 juillet ?
Les résultats montrent par exemple, pour ce qui concerne la mobilité des enfants qu’à Orgères le mode automobile est légèrement dominant (semaine) mais diminue lors du passage au collège au profit de la marche et des modes mixtes dont les Transports en commun et que l’indépendance de déplacement reste faible pendant l’école primaire mais augment de façon significative au collège. A l’inverse, à Rennes les enfants en primaire marchent plus fréquemment et semblent plus indépendants. La question de l’autonomie ne se résumant à l’indépendance, nous montrons également sous quelles autres dimensions elle peut être interrogée.
Les résultats seront présentés par l’ensemble des partenaires sous forme d’une exposition ouverte à tou·te·s conçue autour des posters, réalisés dans des formats diversifiés compréhensibles du grand public. Ils mettront, par exemple, en lien les types d’autonomie de l’enfant avec les affordances (les qualités perçues d’un environnement pour y faire quelque chose) analysées à travers les parcours commentés. On repère ainsi quatre registres de l’attention : ludique (la possibilité de jouer sur le trajet), social (le passage par des lieux qui permettent de retrouver des copains ou des adultes protecteurs), en lien avec la motricité (le déplacement lui-même) et en lien avec la commodité du trajet (confort, effort physique, caractère agréable ou non). Mais aussi, les types d’autonomie selon les contextes. Ils illustreront l’usage du vélo par les enfants. Seront également présentés des parcours commentés d’enfants transcrits sous diverses formes : des récits illustrés ainsi que des montages vidéo ou sonores de parcours. Plutôt à destination de nos collègues chercheur·se·s, nous proposerons également de découvrir les applis créées dans le cadre du programme, notamment l’une portant sur le traitement des données cartographiques à destination des chercheurs du programme non spécialistes de la cartographie ou encore une autre sur l’analyse sémantique des tracesUne table ronde réunira enfin les actrices·acteurs de la mobilité au sein de la ville : enfants et parents des cohortes enquêtées, élu·e·s et services de la ville de Rennes et de Rennes Métropole, un directeur d'école primaire et des actrices·acteurs associatifs et scientifiques. L’idée est de sensibiliser à la question de la place de l’enfant en ville, de faire en sorte qu’il·elle soit considéré·e comme un usager·e au même titre qu’un adulte dans les questions de mobilité, et d’apporter des éclairages pour aider une meilleure prise en compte par les services en lien avec l’aménagement : l’enfant est souvent considéré à partir de l’adulte (les parents), mais heureusement, c’est en train de bouger !