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Interview

Nicolas Bazoge bouscule nos modes de perception

Diplômé de l’Institut Supérieur des Techniques du Spectacle à Avignon et du master Création Numérique à l’université Rennes 2, ce créateur intermedia et performeur est en résidence à Rennes 2 depuis le 23 septembre 2019. Le 7 octobre, Nicolas Bazoge présentera au Tambour sa création en cours Vis Insita.

Nicolas Bazoge

Quels étaient les points de départ, les thèmes de vos recherches, à la genèse de Vis Insita ?

Nicolas Bazoge L’un des points de départ est la remise en cause du paradigme controllerist apparu dans le milieu des années 2000 qui consiste à gérer la musique électronique à l’aide de surfaces de contrôle de type MIDI, c’est-à-dire basées essentiellement sur des boutons, des potentiomètres. Cela m’a toujours frustré en tant que musicien en live car ces interfaces ne sont pas toujours très expressives, et surtout elles ne donnent pas beaucoup à voir au spectateur. Ce dernier ne sait pas toujours sur quoi le musicien est en train d’agir, et peut même parfois se demander s’il est réellement en train d’agir sur quelque chose…
L’idée était donc de renouer avec une forme de performativité que l’on peut avoir avec les instruments traditionnels, tout en gardant le potentiel de contrôle et de créativité qu’offrent les technologies numériques. Je souhaitais pouvoir continuer à incorporer les sons électroniques à mes compositions, mais en retrouvant le contact avec l’objet, la matière, avec le mouvement. Je me suis donc intéressé à la sculpture cinétique des années 50-60, notamment à Alexander Calder, l’un des premiers à avoir donné un côté performatif à ses œuvres mouvantes.
Un autre point d’entrée est le concept d’intermédialité, introduit notamment par Dick Higgins dans les années 60, mais également développé par la suite sous différentes variantes telles que l’hybridation ou l’ultramédialité. Il consiste d’une manière générale à promouvoir une création artistique qui soit transversale, au croisement de différents médias, et ne soit pas cloisonnée à une seule discipline (musique, danse, arts plastiques, etc.). C’est déjà le cas dans le spectacle vivant où, souvent, plusieurs moyens d’expression interagissent. Ce concept prend encore plus de sens avec le numérique où un signal déterminé finit en un flux de données binaires malléables et transformables à souhait en n’importe quel autre type de signal. Même si la musique reste au cœur du projet, cette porosité est quelque chose que je souhaite explorer avec Vis Insita, pour tendre vers une sorte de dialogue, d’échange énergétique entre l’objet, le son, la lumière, la scénographie et le mouvement.

En ce qui concerne votre parcours, quelles sont les expériences qui vous ont amené à créer cette performance musicale et lumino-cinétique ?

N. B. Adolescent, je n’avais que ma guitare électrique, un synthé et un enregistreur 4 pistes à cassettes pour composer et m’enregistrer. Au début des années 2000, j’ai commencé à m’intéresser à la MAO (Musique Assistée par Ordinateur). Les questions liées à l’informatique se sont naturellement posées. Je me suis demandé ce que cet outil permettait que les autres ne permettaient pas. C’est ainsi que j’ai commencé à développer un dispositif scénique qui permettrait d’interpréter seul mes compositions en live sur le principe de l’autosampling (enregistrement et bouclage en temps réel de sons ou d’instruments de musique). Ce dispositif a conduit à plusieurs projets personnels (Insides, ../MUTE) ainsi qu’à des collaborations avec la compagnie de danse lorientaise le Pôle pour laquelle j’ai composé et interprété plusieurs musiques en live dans le cadre de performances.
En parallèle, j’ai travaillé pendant douze ans en tant que concepteur et régisseur lumière au Centre Dramatique National de Lorient. Ce poste a été l’opportunité de collaborer avec des artistes venus d’horizons très différents, d’expérimenter certaines de mes idées personnelles, et d’alimenter mes réflexions sur des questions techniques et artistiques diverses s’étendant bien au-delà des seules problématiques liées à la lumière. Cette ouverture a été essentielle dans mon parcours et a contribué à renforcer mon intérêt pour la transversalité.
Il y a trois ans, j’ai ressenti le besoin d’acquérir un bagage théorique plus poussé concernant les enjeux des technologies numériques dans l’art et la société, et de me recentrer un peu plus sur mes projets personnels. J’ai donc décidé de reprendre des études universitaires en master Création Numérique à l’université de Rennes 2. Mon sujet de recherche concernait les potentialités expressives de la motion capture (technologie de captation du geste) dans la performance musicale électronique.
Vis Insita est à la fois la continuité de mon parcours professionnel et le fruit de ces recherches personnelles.

Que souhaitez-vous apporter aux spectateurs à travers Vis Insita ?

N. B. C’est une question difficile. Je ne sais pas si je souhaite apporter quelque chose de précis, ni d’ailleurs si c’est vraiment le rôle de l’art. Pour moi, avant tout, l’art essaie. C’est un espace-temps alternatif, non conventionnel, une zone de possibilités.
Il y a des choses que je possède au fond de moi et j’ai l’impression que je ne peux pas faire autrement que de tenter de les extérioriser, d’une manière ou d’une autre. Tout l’enjeu, c’est d’écouter cette force intérieure, de la respecter, de ne pas la nier alors qu’elle me pousse sans cesse hors de ma zone de confort vers des contrées inconnues parfois effrayantes, et d’en faire quelque chose de constructif et créatif.
Pour tenter de répondre malgré tout, s’il y avait quelque chose que j’aimerais apporter aux spectateurs, ce serait peut-être une possibilité de prendre conscience de leur propre flamme intérieure, qu’ils puissent ressortir de cette proposition avec la sensation d’avoir vécu quelque chose, mais avec des perspectives, en se disant « Ah oui, tiens, ça me donne une idée… » ou alors « Moi aussi, je pourrais faire ça ».

Dans un récent article de votre site lié au projet Nola's key, vous faites l'éloge de la complexité du monde en abordant le concept de la pensée complexe d'Edgar Morin. Vous vous inquiétez alors d'une société "où tout doit être étiquetable, identifiable, limpide, compréhensible, en particulier afin d'être promu et commercialisable". Comment cela se traduit-il dans votre pratique ?

N. B. Ce que j’aime dans cette idée de complexité, c’est la manière dont Edgar Morin l’emploie, c’est-à-dire au sens étymologique de « complexus » qui signifie « ce qui est tissé ensemble ». Pour lui, chaque domaine de la pensée et de la connaissance doit s’imbriquer, s’interconnecter dans un principe de transdisciplinarité reliant notamment la science et la philosophie.
Notre besoin de comprendre le monde nous oriente naturellement vers des formes de simplification, de raccourcis et de cloisonnement. L’économie capitaliste s’appuie sur ces principes, ainsi que sur une rationalité que les technologies ont permis de décupler ces dernières décennies.
À travers mes projets, j’essaie d’une part de m’approprier ces technologies pour en faire ce que j’ai envie, et non ce qu’on aurait envie que j’en fasse, mais je me plais aussi à incorporer une part de mystère, d’ambiguïté, d’incompréhension et de fragilité. J’ai l’impression pour l’instant que c’est la seule solution dont je dispose pour ne pas devenir un produit.
Musicalement par exemple, je m’attache plus à créer des atmosphères, des univers plutôt que d’essayer de correspondre à un genre. Je suis mes aspirations, simplement. Ce qui m’intéresse, c’est de mettre en relation des choses qui, a priori, ne le sont pas. C’est cette idée de connexion que je recherche à travers Vis Insita et bien sûr, elle est intimement liée à celle de mouvement, que ce soit celui du corps, des objets ou de la pensée.

Titre de l'encadré
Informations pratiques
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Vis Insita par Nicolas Bazoge
Lundi 7 octobre (durée 15 minutes, suivi d'un temps d'échange) / 18h30 / Le Tambour
Gratuit / 
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