Type d'article
Brève

Projet Howl 2122, une écriture de l’urgence

« Ne pas oublier qu’en France, on a enfermé la jeunesse universitaire pendant plus d’un an ». Howl 2122 c'est un projet d'écriture, de composition musicale et de performance live, proche du rap et du spoken word. Une sorte de pendant au poème Howl d’Allen Ginsberg au regard de l'expérience qu'a traversé la jeunesse universitaire pendant cette période de pandémie. Un spectacle qui verra le jour sur la scène du Tambour, dans le cadre du Printemps des Poètes en mars 2022.

Laure Catherin, Delphine Battour et Raphaël Mars

Laure Catherin, autrice, comédienne, et fondatrice de LaDude Compagnie, nous donne des nouvelles de ce projet, dont le travail de recherche et d'écriture a débuté à l'automne sur le campus Villejean. Un travail mené en plusieurs temps aux côtés de Delphine Battour, comédienne et metteuse en scène, elle-même ancienne étudiante de Rennes 2 et ancienne présidente de l'Arène Théâtre et Raphaël Mars, comédien et metteur en scène à l’écriture et l’interprétation musicale. 

Aux origines du projet Howl 2122, un poème et un manifeste

Howl, d’Allen Ginsberg

Ce poème est l’une des œuvres majeures de la Beat Generation. Publié en 1956, Howl est un cri de rage, une critique virulente du rêve américain, un manifeste à la fois esthétique, politique et social.

« Je suis retombée sur Howl, d’Allen Ginsberg pendant cette année de pandémie.

Au plus profond du deuxième confinement, l’effet a été celui d’un coup de bélier, de l’eau qui revient brutalement couler dans un cours qui s’assèche. […]

La langue de Ginsberg est crue. À travers un portrait percuté et vibrant de la jeunesse universitaire de son époque et de ceux qu’elle a croisés sur sa route, elle parle de l’errance, de l’enfermement, de l’état du monde qui rend fou, de la dissidence, et de l’État qui traite la dissidence comme de la folie. Mais par dessus tout c’est le désir de vie bouillant, urgent, qui gronde et qui déborde de toutes les pages, un appel à dévorer la vie par toutes les sensations possibles, un appel vers les autres, un appel au dehors, un appel à sortir de soi, à la sortie de route, un appel aux grands espaces, un appel à prendre l’espace, un appel au contact des corps. […] »

- Extrait d’un entretien de Laure Catherin, lors d’une résidence de création à la Maison du livre de Bécherel

De la Démocratie en Pandémie de Barbara Stiegler

Publié en 2021 chez Gallimard, ce manifeste qui place la diffusion des savoirs scientifiques au cœur de la réflexion citoyenne, est une critique de la gestion de crise sanitaire. Il oscille entre colères et inquiétudes pour la démocratie.

« Les conséquences de l’enfermement de cette génération pendant plus d’un an sont très violentes, en mettant sur les genoux les personnes et la pensée. Et ainsi, comme le décrit bien Barbara Stiegler dans De la Démocratie en Pandémie, c’est tout un pilier de la démocratie qu’on abat. »

Une résidence d’immersion à l’université

En octobre, les trois artistes associés au projet sont en immersion sur le campus Villejean pour rencontrer les étudiant·e·s, entendre leurs paroles, s’imprégner des lieux et de son atmosphère en des temps difficiles.

texte

C'était une semaine intense et nous ressortons touché·es de la densité des paroles partagées

Entre ateliers, collectes de sons, arpentages littéraires* du texte de Barbara Stiegler et initiatives impromptues, Laure Catherin, Delphine Battour et Raphaël Mars recueillent récits, impressions, ressentis et ambiances sonores… De précieux matériaux pour tenter d’écrire d’un souffle cette performance poétique et musicale.

Maintenant il faut dérusher, reparcourir, écrire et composer.

Suite à ce temps de collecte, la compagnie poursuit son travail autour de Howl 2122 (titre provisoire) lors de nouvelles résidences : LaDude Compagnie est accueillie par la Maison Jacques Copeau en novembre, puis à la Maison du livre de Bécherel en décembre. L’élaboration du texte de la performance s’est faite en deux temps : le dérushage, puis l’écriture.

« Ça a commencé par un long travail de dérushage de toutes les heures d'enregistrements qu'on avait, de tout ce qu'on avait glané, lu, entendu, pendant la résidence, arpentage, ateliers, etc.

Et ensuite il y a eu l'écriture. J'ai donc essayé de restituer ce que j'ai entendu, et ça s'est forcément, naturellement, éloigné de Howl.

La question principale était de situer le point de vue. D'où placer cette retranscription du témoignage des étudiant.es ? Qui parle ? Au travers du texte, je me suis dit qu'il fallait essayer de restituer de la façon la plus juste notre processus : des personnes extérieures au campus qui font la retransmission (forcément subjective) de ce qu'elles ont entendu. [...] Le texte n'est pas écrit de l'intérieur. Nous ne sommes pas des étudiant·es. Contrairement à Ginsberg qui parle vraiment de sa bande de potes.

J'ai donc eu besoin d'écrire une introduction pour situer la parole. Et placer les lieux qui disparaissent ensuite en partie dans le texte puisque cela parle d'un long moment où la fac a été fermée. Le campus que nous avons vu nous était plein. Celui dont on nous a parlé était vide. L'idée est d'essayer d'inviter les lecteur·ices / auditeur·ices à suivre notre cheminement [...] ».

À l’heure actuelle, le texte est au croisement du poème d’Allen Ginsberg et du manifeste de Barbara Stiegler.

texte

Howl parle des sensations et du dehors, du contact, il est ultra-charnel alors qu'on parle ici d'une période de privation des sensations et de distance. Le fossé est flagrant.
De De la Démocratie en Pandémie, il reste l'aspect chronologique. Et aussi des thématiques comme ce qui fait intelligence collective ou la question écologique qui étaient presque toujours là en filigrane dans nos entretiens, et ça ce n'est vraiment pas du tout dans les préoccupations de Howl.

Dernière ligne droite avant la première

Pour l’heure, « la première ébauche du texte est écrite. Nous sommes dans une phase d'aller-retours entre Delphine, Raphaël et moi-même. Delphine se penche sur son adaptation (coupes etc...) pour le plateau. Raphaël commence à composer la musique. Et moi, je vais retravailler certaines parties en écriture. [...] »

Laure Catherin, Delphine Battour et Raphaël Mars

Devant la masse d’informations collectées et les délais très courts, Laure Catherin poursuivra ce travail après la première de la performance prévue le mois prochain à l’université.

« De Howl d’Allen Ginsberg pour l'instant j'ai clairement gardé les mouvements et certaines tournures dans l'urgence de cette première ébauche. Avec le temps et en retravaillant j'aimerais m'en éloigner et que certaines parties trouvent plus leur forme propre. Mais c'est une question de temps et de digestion. Sur le contenu, clairement le texte s'en éloigne. »

L'objectif de la compagnie, c'est la version plateau pour mars. « C'est vraiment le jeu d'une écriture de l'urgence donc on va voir ce que ça va créer artistiquement et les choix que cela va nous amener à faire ».

Après une première résidence au plateau prévue au Théâtre du Cercle du 7 au 11 février, tous trois seront de retour à l’université pour finaliser la performance. Le spectacle verra le jour sur la scène du Tambour le 15 mars 2022 dans le cadre du Printemps des poètes.

Propos recueillis par Clara Guichard (Service culturel) en janvier 2021.

 

Arpentage littéraire* : L’arpentage consiste à déchirer un livre en plusieurs parties divisées en nombre de lecteur·rices afin de se partager la lecture d’une œuvre. Un temps collectif a ensuite lieu pour échanger autour de la lecture afin de se forger une culture commune. Cette pratique, qui peut paraître surprenante, permet une lecture effective d’une œuvre et des discussions fécondes en un temps limité.

v-webpublic-1