
Comment est né le projet TECHNÈS ?
Gilles Mouëllic Le projet TECHNÈS est né à l’université Rennes 2, dans la continuité d’un projet ANR qui s’appelait “Filmer la création artistique” (FILCRÉA) obtenu en 2008. En travaillant sur ce projet, nous avions été sensibles aux relations entre la création au cinéma et l’histoire des machines. C’est donc assez naturellement que nous avons souhaité recentrer un projet sur les relations entre techniques et esthétique.
Qui sont les partenaires de TECHNÈS ?
G. M. Au cours de FILCRÉA, nous avons identifié l’université de Lausanne et l’université de Montréal comme des partenaires incontournables : ces deux universités s’intéressent depuis longtemps à la question des techniques. La Suisse est un pays important d’invention de machines pour le cinéma, à travers des firmes comme Bolex et Nagra, pour citer les plus connues et Montréal est une ville majeure dans l’histoire des techniques documentaires et des techniques de l’animation. Nous avons donc commencé à réfléchir sérieusement à un projet à partir de 2012. Une idée s’est vite imposée à nous : il nous fallait travailler à la fois avec les écoles de cinéma pour qui la technique est essentielle et avec les cinémathèques pour la diffusion et les archives. D’autres partenaires se sont ensuite associés au projet au fur et à mesure de son existence. Aujourd’hui, vingt-cinq institutions internationales sont des partenaires actifs du projet.
Comment travaillez-vous ensemble ?
G. M. Une véritable organisation s’est mise en place, multiple par la diversité de ses modalités. Nous nous voyons physiquement plusieurs fois par an pendant plusieurs jours, en plus de nos rendez-vous numériques. Le séminaire Montréal-Rennes qui a lieu au second semestre tous les lundis en visio-conférence dans la salle immersive fait partie de TECHNÈS. Ce séminaire qui existe depuis six ans est un lieu d’échanges très important et nous a permis de tisser des liens très solides. Tous les deux ans nous organisons un colloque doctoral dans une de nos trois universités, qui s’ajoute aux journées d’étude, congrès internationaux, conférences etc…
Au sein de TECHNÈS, vous avez obtenu à Rennes 2 une ANR pour le projet Beauviatech.
G. M. Il faut préciser que TECHNÈS a été soutenu au Québec dès 2015 par une subvention de 2,5 millions de dollars sur sept ans. Aujourd’hui, au moins 150 personnes sont impliquées dans le projet et de nombreux événements sont organisés dans ce cadre. Ce financement a permis de faire travailler des post docs, des doctorants, des chercheurs internationaux, mais aussi d’intégrer dans la recherche des étudiants de licence 3 et de master 1 et 2. Cela a eu, bien sûr, des conséquences sur la visibilité de Rennes 2 dans le domaine des études cinématographiques. Nous avons, de notre côté, sollicité des aides en France pour avoir notre financement propre et une vraie légitimité en tant que partenaire de TECHNÈS. Le service des relations internationales et la commission recherche nous ont régulièrement aidés, la Maison des sciences de l’Homme en Bretagne (MSHB) aussi. En 2018 enfin, nous avons obtenu l’ANR Beauviatech pour notre travail, au sein de TECHNÈS, sur les archives, déposées à la cinémathèque française, de la société de fabrication de matériel Aaton, créée par Jean-Pierre Beauviala. Le matériel Aaton est connu dans le monde entier. Il a été utilisé partout, dans le cinéma hollywoodien, dans le cinéma d’auteur ou dans le documentaire. Nous venons de finir un premier classement de ce fonds, grâce au travail d’une jeune doctorante, Alexia de Mari. Beauviatech est désormais le volet français du projet TECHNÈS. Grâce à l’ANR, il y a un programme Technès identifié à Rennes 2, internationalement connu.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de l’encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma qui est au coeur du projet TECHNÈS ?
G. M. C’est le projet phare de TECHNÈS, dont le premier aboutissement est prévu pour 2022. Notre objectif est de créer une encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma en ligne, évolutive, internationale et bilingue, que le projet Beauviatech viendra, entre beaucoup d’autres, alimenter. Nous avons énormément travaillé collectivement pour l’inventer. Fin 2019, nous aurons les premières mises en ligne publiques. L’encyclopédie sera constituée de cinquante parcours qui auront une forme très singulière en raison de leur format numérique. Pour cela, nous avons été obligés de faire évoluer notre manière de travailler en incluant dans notre recherche des artefacts, c’est-à-dire des plans d’appareils, des essais, des images de machines, des démonstrations, des extraits de films… Il nous a fallu trouver un compromis entre l’exigence scientifique d’une telle encyclopédie et la spécificité de la diffusion numérique sur internet. Cette réflexion a été longue, mais nous savons maintenant ce que nous allons faire. Un parcours, cela peut-être une pratique (le cinéma d’animation en dessin animé), une machine (la caméra bolex), un métier (preneur de son).
Pour cela, vous travaillez aussi avec des professionnels du cinéma.
G. M. C’est évident. Nous associons des professionnels de toute la chaîne de la création cinématographique. Une partie importante de Technès est consacrée aux métiers. Elle est liée bien entendu à l’avènement du numérique, avec l’arrivée de nouvelles machines de diffusion, de captation du son et des images… Nous avons fait le choix d’historiciser la question du numérique pour relativiser son côté révolutionnaire un peu trop évident. Toutes les questions soulevées par le numérique s’étaient déjà posées plusieurs fois par le passé, par exemple avec l’arrivée de la télévision et de la vidéo. Ces moments techniques ont eu une vraie importance et nous permettent de prendre du recul sur la question du numérique. Nous essayons de repenser l’histoire du cinéma à travers les gestes, les compétences, les politiques et les choix économiques et industriels. Le rapport de l’homme à la machine est considéré dans une dimension plus large, qui implique le cinéma bien sûr, mais qui touche aussi à nos gestes quotidiens. Le téléphone portable est un élément de cette histoire. Pour citer un seul exemple, il y a dans l’encyclopédie un parcours dédié aux caméras d’action de type GoPro. Nous nous sommes rendus compte que cette pensée de la caméra d’action existe depuis les années 1910, le home cinéma aussi. La diffusion des opéras dans les salles de cinéma avait été imaginée à la fin du XIXe !