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Interview

Bretagne. Guy Hersant met en image la fin d’un vieux monde

Jusqu’au 17 décembre 2020 se tient à la Chambre claire l’exposition Guy Hersant, un photographe en campagne - Saint-Jean-Brévelay.

Guy Hersant

Entre 1982 et 1983, le photographe arpente la campagne morbihannaise, en quête des scènes de vie quotidienne à la campagne. Dans le cadre de ses travaux de chercheur en sociologie rurale du Centre national de recherche scientifique (CNRS), la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, l’a missionné pour illustrer la commune, afin de témoigner du grand virage de la Bretagne agricole amorcé dans les années 1960. Cette partie du territoire avait été repérée parmi les communes de France, pionnière dans la mise en place du développement industriel des élevages. Avec cette enquête photographique réalisée à Saint-Jean-Brévelay et dans les communes environnantes du Morbihan, Guy Hersant livre un reportage sur un territoire où peu à peu l’ancien monde s’efface pour laisser place au nouveau.

Pouvez-vous parler de votre lien personnel avec le monde agricole ? Comment cela influe-t-il sur votre pratique ?

Guy Hersant. Je suis né dans une famille d’origine paysanne, mes grands-parents paternels étaient agriculteurs et mon père apiculteur à Fercé, bourg de la Loire-Atlantique. J’ai passé une partie de mes vacances d’enfance et d’adolescence aux ruchers, à la récolte, à l’extraction et au conditionnement du miel le plus souvent avec mon frère aîné qui, lui-même, devint apiculteur. La photographie est entrée dans ce monde « terrien » rapidement et naturellement, comme un lien familier d’humanité ; mes premiers voyages en Afrique (1971) puis en Chine (1978-79 et 1983) témoignent des activités paysannes. J’ai beaucoup photographié dans l’île d’Ouessant (1977-1984), à l’époque où les femmes retournaient encore la lande. Saint-Jean-Brévelay est arrivé à ce moment et l’immersion fut immédiate et passionnante.
La société rurale était en train de basculer dans « la modernité ». Quelques années plus tard, en photographiant l’agriculture dans le département de l’Aisne en 1997 et 1998, je fus confronté à la rupture accomplie vers des pratiques intensives. La mutation était assumée, éclatante ; photographiquement cela se traduisit en partie pour moi par le passage à la couleur. En 2005 et 2006, je suis de retour sur mes terres pour le Département de la Loire-Atlantique et à la redécouverte d’une agriculture encore diversifiée dans les cultures (maraîchage, salines, vignes), les élevages et bien sûr les paysages.

Le 5 novembre au Tambour sera projeté Depuis les champs, premier documentaire de Thomas Baudre. Originaire de la Mayenne, il remet en question les images stéréotypées qui représentent trop souvent le monde agricole et les agriculteurs en allant à leur rencontre. De façon générale, pensez-vous que la dimension documentaire présente dans votre œuvre est également une façon d’interroger nos a priori ?

G. H. Oui, je crois que mon travail est documentaire, il vient d’observations et d’expériences renouvelées, de ma confrontation avec le monde rural et agricole. J’observe cette société et d’une certaine manière j’y participe ; mes photographies sont des prélèvements, ils peuvent être aléatoires ou instinctifs, ils disent du réel. Les a priori, la nostalgie, ne sont pas dans mon champ.

Avez-vous un souvenir ou une histoire lié·e à une photo prise à Saint-Jean-Brévelay que vous souhaitez partager avec nous ?

G. H. C’est une rencontre récente fin 2019 à Saint-Jean-Brévelay lors de la soirée organisée avec la Mairie, et qui réunissait bon nombre de personnes représentées dans mes photographies dont je projetais une sélection et présentais le livre.
Un paysan que j’avais photographié chez lui avec sa famille - et j’ai gardé un souvenir joyeux de ces moments - est venu parler avec moi et m’a dit qu’il avait dû rapidement renoncer à sa ferme.  Les terres et le troupeau des vaches insuffisants étant peu rentables, la banque lui refusant les prêts pour développer l’exploitation, il s’était fait embaucher à l’abattoir local. Il me dit que ce changement de statut avait été un épanouissement pour lui et pour sa famille. Le salaire, le travail fixe et sûr, les congés payés et dit-il, « la reconnaissance sociale ».

Pouvez-vous nous parler de travaux ou de rencontres qui vous ont marqué / qui ont nourri votre œuvre ?

G. H. J’ai d’abord fait un apprentissage durant trois ans dans un studio-photo à Châteaubriant et obtenu le C.A.P. L’expérience décisive fut l’Afrique que j’ai fréquemment photographiée et, en premier, le Mali en 1971 où j’ai pris mes premières photographies en dehors de nécessités matérielles ou professionnelles en parcourant librement les rues et les quartiers de Bamako (je travaillais pour six mois dans un studio belge de la capitale) puis surtout lors d’un voyage vers le nord du pays avant de rentrer en France.
C’est ainsi, je pense, que j’ai compris et aimé l’idée que photographier le monde était un risque et un engagement qui me regardait. Une expérience d’accomplissement, un éveil au partage, à une liberté. Plus tard, j’ai fait la connaissance des photographes maliens Seidou Keita et surtout Malick Sidibé avec qui j’étais ami ; leurs œuvres si importantes et riches sont issues d’une pratique humble et me touchent toujours.
Sur l’univers paysan, j’aime beaucoup les écrits et photographies de Jean-Lou Trassard en Mayenne.

Quelle est votre éthique dans votre approche de la photographie ? Faîtes-vous poser les sujets de vos photos ?

G. H. L’éthique est dans les photographies. Je suis plutôt un portraitiste à la base et solliciter le regard de quelqu’un que l’on photographie en instantané, peut-être aussi un portrait. J’aime la confiance et le rapport intime qui se créent dans la relation de pose, c’est un temps installé et le sujet participe à la photographie. 
À une époque récente j’ai réalisé (et d’abord au Nigeria) de nombreux portraits de groupes de personnes. Je crois que ces portraits révèlent autre chose d’une communauté (travail, loisirs, famille) que des instantanés de leurs activités.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un·e jeune photographe quant à son approche avec les personnes qu’il·elle photographie ?

G. H. Photographie bien et comme bon te semble : « À te regarder, ils s’habitueront. » (René  Char) !

 

Titre de l'encadré
Informations pratiques
texte

Guy Hersant, un photographe en campagne. Saint-Jean-Brévelay par Guy Hersant

Galerie Chambre claire, Campus de Villejean (Rennes)
Du 22 octobre au 17 décembre 2020

Entrée libre, du lundi au vendredi de 8h à 19h

Le photographe accueillera le public à la Chambre claire le 18 novembre de 10h à 12h et de 15h à 18h.

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