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Interview

Explorez la photolittérature jeunesse avec Laurence Le Guen

Laurence Le Guen assure le commissariat de l’exposition présentée à La Chambre claire, Je, tu, il, elle, nous avons des droits ! de la photographe Lily Franey, qui réunit plus d'une vingtaine de clichés engagés autour des conditions de vie des enfants.

Laurence Le Guen

Docteure en littérature française, Laurence Le Guen est l’auteure d’une thèse soutenue le 14 mai 2019, intitulée "Littératures de jeunesse et photographie, mise à jour et étude analytique d'un corpus éditorial européen et américain, de 1860 à aujourd’hui". Chercheure associée au Cellam - Université Rennes 2 (Centre d'études des langues et littératures anciennes et modernes), elle mène des recherches sur la littérature jeunesse française. Elle se spécialise dans les livres pour enfants illustrés par des photographies et analyse les interactions entre la littérature et la photographie. Également auteure de romans pour la jeunesse et commissaire d'expositions, Laurence Le Guen assure le commissariat de l’exposition Je, tu, il, elle, nous avons des droits ! de la photographe militante Lily Franey. Présentée actuellement à La Chambre claire, elle réunit plus d'une vingtaine de clichés engagés autour des conditions de vie des enfants.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Lily Franey ? Comment est née cette envie de collaborer sur différents projets ? 

Laurence Le Guen. J’ai rencontré Lily Franey en 2018, à l’occasion du tournage du film « Paris années 30, capitale de la photographie ». Lily et Jean-Pierre Franey étaient derrière la caméra et moi devant, pour présenter les photographes Ergy Landau, Ylla et Nora Dumas. Ce sont donc des femmes photographes qui sont à l’origine de notre rencontre. A cette occasion j’ai découvert que Lily Franey avait publié un ouvrage photoillustré pour enfants, L’Abécédire, publié aux éditions Rue du monde. Elle m’a donc apporté son témoignage sur la conception de ce livre et a ainsi pu enrichir les recherches que je mène dans ce domaine. Malgré son petit air timide, Lily a aussi de nombreuses anecdotes passionnantes à raconter sur sa vie de photographe engagée qui a parcouru le monde et a photographié des centaines d’enfants. Il nous a vite paru évident que l’on devait faire quelque chose de ses souvenirs et de toutes ces images. 

Quel a été votre rôle en tant que commissaire de cette exposition ? Que vouliez-vous mettre en avant à travers la sélection des photographies ?

L. L. G. Une constante chez Lily c’est de montrer la vie des enfants, leurs souffrances et leurs joies, leur façon de rester enfants quoi qu’ils vivent. En 2019, on a célébré les 30 ans de la Convention Internationale de l’ONU des droits de l’enfant. Marier les photographies de Lily et les droits de l’enfant, adapter mes choix à l’espace de la Galerie de La Chambre claire, travailler avec le service culturel de l’université Rennes 2 qui a tout de suite dit « oui » à ce projet, voilà quel a été le plus gros de mon travail. Je ne voulais pas, en accord avec Lily, montrer uniquement la misère. On voulait témoigner de l’enfance dans sa globalité, où qu’elle se vive sur la terre. 

Spécialisée dans les livres pour enfants illustrés par des photographies, vous analysez les interactions entre littérature et arts visuels. Pouvez-vous nous parler de votre rapport à la photolittérature ? Comment est né votre intérêt pour celle-ci ?

L. L. G. J’ai découvert la photolittérature ici, à l’université Rennes 2, lorsque j’ai repris mes études en master, sous les bons auspices du professeur Montier. Je me suis aperçue que le continent éditorial des ouvrages pour enfants accompagnés de photographies était un domaine largement ignoré ou trop peu étudié. J’ai plongé dedans et je continue à explorer ses productions. C’est comme si je tirais le fil d’une pelote. Plus je tire dessus, plus il en apparaît, dans toutes les langues, sur plus de 100 ans ! 

« Si aujourd’hui il est communément admis de trouver des photographies dans les livres pour enfants, nombreuses ont été les réticences des créateurs, éditeurs et lecteurs pour associer littérature pour le jeune public et illustration par la photographie ». Comment expliquez-vous l’évolution de la perception sur cette production depuis son apparition ? 

L. L. G. Une des constantes de mes enquêtes auprès des professionnels du livre et ceux de l’enfance, c’est qu’on se méfie de la photographie dans les livres pour enfants. On l’admet dans les documentaires ou les imagiers, bien sûr, mais aussitôt qu’elle accompagne une fiction, elle fait peur. On lui préfère traditionnellement le dessin. Cela fait plus de 100 ans que l’on fonctionne avec cette réticence, malgré quelques améliorations depuis les années 2000 peut-être. Les discours ont parfois été violents à son encontre. 

“Mauvaise qualité”, “sans netteté”, “brideuse d’imaginaire”, “trop plein de réalisme”, “incapacité à accompagner la fiction”… Suite au constat concernant les critiques par des lecteurs « avertis » concernant l’insertion de la photographie dans le livre pour enfants, vous réalisez une enquête avec le Cellam en partenariat avec le laboratoire Loustic de l’université Rennes 2. L’objectif de cette étude est de mesurer la réception du lecteur réel, de l’enfant lui-même. Quels résultats sont apparus ?

L. L. G. Les premiers résultats montrent que les enfants aiment la photographie et que bien souvent ce sont les adultes qui s’en méfient. Il semble également qu’ils aiment son réalisme et l’illusion de vérité qu’elle procure. Mais en fait ils n’expriment pas une préférence pour l’un ou l’autre mode d’illustration. Ils sont surtout sensibles à l’esthétique du livre, aux thèmes qu’il aborde, à la possibilité qu’ils ont de pouvoir se reconnaître dans le personnage ou aux surprises qu’il leur apporte. 

Également auteure jeunesse, vous publiez ce mois-ci une biographie de Nelson Mandela destinée aux jeunes lecteurs aux éditions Yomad dont les photographies sont signées de votre désormais complice Lily Franey. Quelques mots sur ce projet ?

L. L. G. Un de mes grandes fiertés c’est d’avoir publié un livre photoillustré alors que c’est le sujet de mes recherches. Et puis quelle émotion de découvrir des photographies de Nelson Mandela prises par Lily en 1990 ! Il venait de sortir de prison. Certaines ont été publiées dans la presse mais d’autres sont à découvrir. Il faut aussi écouter Lily et Jean-Pierre Franey raconter leur rencontre avec le plus célèbre prisonnier du monde. Ils font revivre une tranche d’Histoire. Je crois que nous avons matière à une autre exposition ! 

En raison du contexte actuel, la table ronde sur la littérature jeunesse non-genrée  qui devait avoir lieu en avril dans le cadre des Mardis de l’égalité est reportée à la saison prochaine. Celle-ci proposera d’explorer la nécessité de déconstruire les stéréotypes de genre, à l’heure où celui-ci est reconnu comme construction sociale. Quel est votre regard sur cette littérature ?

L. L. G. J’ai une bonne dose d’ouvrages très genrés dans mon corpus, entre Books for boys et exempla destinés à former de bons petits soldats ou de bonnes ménagères. Quand on sait l’importance de la littérature jeunesse dans la construction de l’enfant et du futur adulte, il faut soutenir le développement d’une littérature non genrée. Je crois qu’elle fait son chemin, petit à petit chez les éditeurs, mais que la route est longue. Peut-être qu’on pourrait en réaliser un illustré de photographies ? Il faut que j’en parle à Lily !

 

Pour en savoir plus : miniphlit.hypotheses.or

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