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Interview

Re(Naître) : plongée chez les Farc avec Catalina Martin-Chico

Du 18 janvier au 15 mars 2021 se tiendra à la Chambre claire l’exposition (Re)Naître de Catalina Martin-Chico, photographe et photojournaliste franco-espagnole.

Catalina Martin-Chico
Légende

Jérôme Bonnet

C’est un conflit qui avait fini par faire partie du paysage. La guérilla des FARC a fait 260 000 mort·e·s, 7 millions de déplacé·e·s et des dizaines de milliers de disparu·e·s. La paix, signée en août 2016, a mis fin à un demi-siècle de violences.

Le pays découvre alors une réalité inconnue de la vie des combattantes de ce groupe de rébellion marxiste. Ces femmes auraient représenté près de 40 % des Forces armées révolutionnaires de Colombie et pour elles, pendant ces 53 années de guérilla, les grossesses ont été interdites. Celles qui n’avaient pu l’éviter étaient condamnées à avorter ou à abandonner leur nouveau-né. Depuis que la paix a été signée, elles sont des centaines à avoir choisi de donner la vie. La Colombie parle désormais de baby-boom dans la jungle.

Dès 2017, Catalina Martin-Chico parvient à suivre le quotidien de ces hommes et de ces femmes qui n’ont pas encore rendu les armes et attendent leur réinsertion dans la vie civile. Encore confiné·e·s dans des zones de transit, ces ex-combattant·e·s des FARC font le dur apprentissage de la transition.

Comment la Colombie s’est-elle imposée dans votre travail ?

Catalina Martin-Chico. Un lien lié à la langue, une grande curiosité, un fait d’actualité d’une grande ampleur ont fait que je me suis dit qu’il fallait raconter ce qui s’y passait. Mais comment le raconter, ça c’était une autre histoire !

Vous avez choisi de raconter la paix en images à travers le prisme de ces figures féminines. Pourquoi ?

C. M.-C. Parce que la paix est plus difficile à documenter visuellement que la guerre. Parce que j’ai appris que les femmes ont occupé jusqu’à 40% des rangs de l’armée marxiste. Qu’elles ont vécu des choses encore plus dures que les hommes. Les deux genres étaient à un même niveau d’égalité pendant la guérilla (contrairement au sein de la société colombienne). Pour schématiser, elles utilisaient les armes autant que les hommes et les hommes cuisinaient autant que les femmes.

Mais la vraie différence résidait dans la nature : les femmes tombaient enceintes et elles devaient se faire avorter en pleine jungle ou abandonner les bébés à la naissance.

La signature de paix a été symbolisée, pour moi, par l’arrivée de ces bébés, de ces vies, après autant d’années de guerre. Donc c’est l’histoire de la naissance possible de ces enfants et de la renaissance de ces mamans.

Vous vous êtes rendue à trois reprises en Colombie pour raconter cette transition, lorsque “les bébés ont remplacé les armes”. Lors de votre premier voyage, les armes n’étaient pas encore rendues. Qu’avez-vous ressenti en retournant sur vos pas, neuf mois plus tard ?

C. M.-C. Le changement était dingue ! En neuf mois, les enfants étaient nés, mais des routes avaient été construites et chaque guerrillero avait désormais une maisonnette individuelle, avec sa cuisine. Le wifi était installé au campement. Des serres de production avaient été lancées. Une école était née. Ils étaient habillés en « civil »… de la pure jungle, on était passé à de petits villages…Tout était métamorphosé.

Avez-vous un souvenir ou une histoire liée à une photo prise en Colombie que vous souhaitez partager avec nous ?

C. M.-C. Ce que je souhaiterais partager n’est pas un événement et ne peut être résumé en une photo. Mais le fait d’y aller et de revenir plusieurs fois et de maintenir des rapports via Whatsapp avec les personnages, permet de rentrer petit à petit dans des histoires personnelles et dans une certaine intimité. Ce qui me touchait, c’était de sentir à quel point les retrouvailles familiales étaient des moments forts, ainsi que de voir la construction de leur propre famille. Ces anciens guérilleros étaient des enfants quand ils sont rentrés chez les FARC, avec souvent des enfances difficiles, en rupture familiale, et sans beaucoup d’avenir. Les revoir en famille, sachant les années de séparation et leur conception de la famille, était fort pour moi.

Ca pourrait être symbolisé par ces photos peut-être :

La Colombie, l’Arabie Saoudite, la Chine, l’Iran, le Yémen… vous avez déjà été aux quatre coins de la planète. Quel nouveau reportage au long cours souhaiteriez-vous réaliser ?

C. M.-C. Je souhaiterais terminer celui-ci, me donner encore un temps. Et revenir dans 5 ans.

Je souhaiterais revenir aussi au Yémen, si c’était possible. Puis en Iran.

Je souhaiterais travailler sur les aveugles, en France.

Je souhaiterais travailler plus sur l’environnement, pour alerter, témoigner. Mais sur des sujets toujours liés aux humains qui la protègent (Amazonie). Les envies ne manquent pas !

Comment a évolué votre pratique de la photographie depuis vos premiers reportages ? Quel est le fil conducteur de votre travail ?

C. M.-C. Je n’ai pas de stratégie réfléchie. Mais si je dois prendre du recul sur mon travail, je dirais que j’aime bien aller là où personne ne documente. J’aime raconter des histoires de communautés oubliées, invisibles et leur donner une « voix ».

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un·e jeune photographe quant à son approche avec les personnes qu’il·elle photographie ?

C. M.-C. Savoir tout d’abord ce que l’on veut raconter, travailler son approche en fonction. Avoir une idée précise de l’histoire, mais savoir se laisser surprendre par des choses inattendues et en tenir compte. Des fois, on veut raconter une histoire que l’on croit vraie depuis notre bureau à Paris. Une fois sur place, les choses ne sont pas si noires ou blanches. Savoir donc s’adapter.

Puis se faire accepter par la communauté, en étant soi, vrai, transparent.

Puis respecter la dignité des personnes. Accepter de « perdre » certaines photos par respect.

Gagner leur confiance.

Puis travailler, travailler, travailler.

Titre de l'encadré
Informations pratiques
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(Re)Naître , photographies de Catalina Martin-Chico

Galerie Chambre claire, Campus de Villejean (Rennes)
Du 18 janvier au 15 mars 2020

Les photographies de Catalina Martin-Chico sont visibles depuis l’extérieur de la Chambre claire (Bât. P). L’exposition est donc accessible malgré la fermeture de l’université.

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