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Interview

Rencontre avec un chercheur : Obrillant Damus

Obrillant Damus est professeur à l’Université Quisqueya (Faculté des sciences de l’éducation) et à l’Université d’État d’Haïti (Institut d’Études et de Recherches Africaines d’Haïti, programme de Master d’Histoire, Mémoire et Patrimoine).

Obrillant Damus en octobre 2018

Obrillant Damus est titulaire de deux masters en sciences du langage et sciences de l’éducation, d’un doctorat en socio-anthropologie et il a réalisé un post-doc à La Sorbonne (2012-2013). Du 15 septembre au 15 novembre 2018, il a été accueilli à l’université Rennes 2 par l’équipe LIDILE dans le cadre de la chaire des Amériques et a pu prononcer plusieurs conférences sur divers sujets. 

Certaines de vos conférences portaient sur les rapports entretenus avec le créole et le français en Haïti. Qu’est-ce que l’usage de ces deux langues dit de votre pays ?

Obrillant Damus : Tous les Haïtiens parlent créole quel que soit leur niveau d’éducation. Le créole est la langue des analphabètes, des masses rurales, mais c’est aussi celle des intellectuels… Ce n’est qu’en 1987 que le créole est devenu une langue officielle en Haïti, à côté du français qui était, jusque-là, l’unique langue officielle depuis 1804. Aujourd’hui, beaucoup de textes officiels sont rédigés en français et en créole. 

Quelle est la langue parlée au quotidien en Haïti ?

O. D. Dans la vie de tous les jours, dans la rue, on s’exprime en créole. Si on veut faire bonne impression, dans des situations de communication formelles, on s’exprime en français. Plus on est cultivé, mieux on parle français. L’école haïtienne est pratiquement bilingue. On enseigne en français, mais rien n’empêche un professeur de s’exprimer en créole. En revanche, les ouvrages pédagogiques sont en français. Les élèves et les étudiants ne comprennent pas tous le français de la même manière. J’enseigne dans deux universités, l’une privée et l’autre publique. À Quisqueya (ndlr : établissement d’enseignement supérieur privé), je m’exprime en français et les étudiants sont capables de faire de bons exposés dans cette langue. Ce n’est pas le cas des étudiants de l’université d’État d’Haïti. 

Vous avez aussi donné des conférences à des scolaires au Village des sciences organisé sur le campus de Rennes 2 en octobre 2018… De quoi leur avez-vous parlé ?

O. D. Certains n’avaient jamais entendu parler d’Haïti et ils confondaient ce pays de la Caraïbe avec Tahiti. Je leur ai expliqué qu’Haïti était un pays d’Amérique latine, qui avait été colonisé par plusieurs pays européens, par l’Espagne d’abord, qui a mis les Amérindiens en esclavage. En Haïti, ils étaient un million à l’arrivée de Christophe Colomb. Ils ont totalement disparu dans la catastrophe coloniale car ils n’ont pas résisté aux maladies transmises par les colons.  J’ai aussi parlé de la représentation de la maladie en Haïti : en France, on a une perception localisatrice de la maladie. Par exemple, la syphilis est causée par une bactérie localisée dans le cerveau. Avec des médicaments, on peut l’éradiquer. En Haïti, la maladie est ancrée dans un réseau labyrinthique de représentations. Quand quelqu’un est malade, c’est toute sa personne qui est malade, c’est toute sa famille, tout le village. La cause de la maladie n’est pas unique, elle est multiple. C’est peut-être un esprit qui l’a provoquée… Je suis d’origine paysanne. Quand j’étais malade, on voyait d’abord un tradipraticien, un spécialiste de la médecine créole, qui réalisait un diagnostic divinatoire pour déterminer les origines de la maladie. Si on ne guérissait pas, on allait alors voir un médecin. La trajectoire des soins en Haïti est complexe. 

Quels sont vos thèmes de recherche plus précisément ?

O. D. Ils sont pluriels. J’ai travaillé sur le viol en Haïti, le cancer, l’allaitement maternel, les savoirs locaux, le handicap, la médecine créole, les rapports entre le créole et le français, la vulnérabilité ontologique… Depuis 2006, je m’intéresse notamment à l’accouchement traditionnel, qui est réalisé par des matrones dont la pratique professionnelle remonte à l’époque coloniale. Cette pratique constitue un matrimoine culturel immatériel de l’humanité. Mes travaux sur l’accouchement traditionnel ont été couronnés par l’UNESCO en 2016. 

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